Le café et la sirène

J’entame la huitième semaine de mon séjour montréalais, qui en compte neuf. Autant dire qu’arrivent les heures de nostalgie, déjà. L’urgence de goûter, respirer, sentir, s’imprégner de la ville jusque sous la peau.

Une de mes addictions les plus connues, c’est ce goût prononcé pour le café qui te prend aux tripes, celui qui te remue depuis la bouche aux reins, qui te donne le chaud et le frisson, l’amer et le réconfort.

Ma consommation de café est grande, mes collaborateurs autant que ma famille vous le diront. Le fait est qu’en Belgique, le simplissime système de cafetière à dosette (dont le nom commence par Sens et finit par éo) est particulièrement répandu. Celui du beau George se démocratise également, tous mes amants sont donc équipés pour satisfaire mes envies de combo sexe+café.

Ici, au Canada, le café de base, c’est le “café filtre”, ce bon vieux percolateur à filtre papier, voire, pire, le samovar collectif qui passe deux litres et les maintient au chaud, quitte à brûler toutes les saveurs, transformant le divin breuvage en un jus de chaussette acide et sans parfum.

J’ai donc totalement abandonné l’idée du café-filtre pour me lancer à la découverte des nombreuses autres variantes, si possible dans des lieux très disparates. Le défi : dans chaque quartier visité, boire au moins un bon café. Aidée de quelques twittos de bon conseil (Merci @AlcoolAFiction, @PetiteEspiègle,  @LaNe et @Camille ), j’ai pu faire quelques découvertes intéressantes, de ces brûleries qui te servent un breuvage de qualité, même quand tu demandes la formule de base “Expresso allongé simple noir sans lait sans sucre”. Tu dois savoir que, pour boire un café, tu dois d’abord répondre à un questionnaire de cinq minutes. Latte, machiatto, capuccino, expresso, allongé, double expresso, double expresso allongé, …. Tout cela est classé dans les “cafés”, et pas que chez Starbuck. Ainsi, si à Namur ou ailleurs, “Bonjour je voudrais un café s’il vous plaît” est à peu de choses près mon plus long échange verbal dans un bistrot, ici, cela devient

 

Bonjour (grand sourire).

 

Bonjour (mal réveillée)

 

Ca va  bien ? (grand sourire).

 

Oui merci. (ouvre un oeil)

 

Qu’est-ce que je peux vous servir ? (grand sourire)

 

Un café (mine contrite et cependant étincelle d’espoir)

 

Régulier ou spécial ?

 

Spécial (deux yeux ouverts, ma journée va commencer)

 

Espresso, double espresso, latte, capuccino, machiato ?

 

Capuccino (pliiiise, ça urge)

 

Avec de la cannelle ou du cacao ?

 

Avec du cacao, s’il vous plaît.

 

Ca me fait plaisir.  Trois dollars cinquante (sourire étincelant, dans l’attente du billet)

Et là, c’est le piège : tu dois calculer toi-même le pourboire, quasi obligatoire au risque de passer pour le pire client de la journée. Quand on te dit 3,5$, en fait ça veut dire 4, au moins. Un peu comme quand le gars qui vient faire l’entretien de la ventilation te dit qu’il en a pour 5 minutes et que ça prend une demi-heure. C’est la base, le code social, ce que tu dois savoir avant d’interagir avec les gens. Et ce n’est pas simple… A chaque voyage, il y a ce temps d’adaptation à la culture et au code de l’autre. Vivre ailleurs, comme je le fais ici pendant deux mois, cela demande aussi de faire l’apprentissage de ces règles tacites et codes sociaux, pour pouvoir tout simplement entendre et découvrir les lieux, les gens, les discours ambiants, et trouver sa place. Et ces deux mois, passés à Montréal, s’ils m’ont amenée à m’y sentir un peu chez moi, à rencontrer de belles personnes, maîtriser le plan du métro, la structure de la ville et les horaires de vie, ne suffisent pas encore à faire de moi une Montréalaise… Cette expérience de déracinement, qui est d’un confort et d’une richesse hors normes, j’en suis consciente, m’apprend bien plus sur le monde que je ne l’avais imaginé. Et les gens croisés, ces pépites humaines, m’offrent des moments de grâce parfois inattendus.

Hier, j’ai passé la soirée avec un couple aux cultures mélangées d’une grande beauté. Nous avons parlé beaucoup, avec cette impression immédiate d’être en famille, entre “soi” : un regard curieux et pensif sur le monde, le goût des bonnes choses, la conscience de vie, l’envie, vive, de toucher les étoiles… Des perles.

A la fin du repas, mon hôte, qui avait cuisiné un repas cubano-afghan des plus bigarrés de saveurs, m’a proposé, évidemment, un café. Panique à bord… Qu’allais-je donc boire ?

Et là, quelque part au 4e étage d’un immeuble de Montréal, après huit semaines de vie caféïnomane frustrée, j’ai connu un plaisir inégalé. Un café au parfum enivrant, au goût puissant, qui te traverse comme le plaisir, et perdure comme le câlin d’après, dans l’air autour de toi, dans la tasse que tu renifles encore et encore, sur le bout de la langue et la lèvre que tu mordilles, un café comme ça. Et c’était foutument bon.

Après tel moment, la nuit s’invite, s’impose. S’enfoncer profondément dans les appétits de vie, et s’éveiller le corps parfumé de désirs. Rêver doux. Ouvrir un oeil. Sourire ? Non, quelque chose ne va pas bien. Alarme incendie. Sirène. Ce n’est pas un exercice. En quinze secondes, enfiler un pantalon, prendre téléphone, passeport, sac à main, chaussures. Ouvrir la porte. Découvrir sur le pallier quelques personnes âgées en pyjama encore, avec leur parka. Faire demi-tour. Prendre une veste et une écharpe. Et descendre les vingt étages, à pied. Être un peu gênée d’être alerte et sur la balle, croiser une dame qui a plus de mal à descendre, m’entendre dire par une voisine : “Passez devant, Nora, allez voir ce qui se passe…” Et qui me donne l’autorisation morale d’aller plus vite, et de revenir au besoin pour donner un coup de main. Après quelques longues minutes de descente, je découvre sur la rue des dizaines de seniors, certains déjà prêts pour leur journées, d’autres encore ensommeillés… Les pompiers, camion citerne, grande échelle, sirènes, sirènes, sirènes… C’est un problème au sous-sol. Ils maîtrisent la situation. Au bout d’une petite demi-heure, chacun peut remonter dans son appartement, l’ascenseur est autorisé. Imagine un instant… Cette minuscule vieille dame, croisée chaque jour dans l’ascenseur, la peau tannée par le temps, a descendu ses 14 étages… Mon voisin, qui souffre de problèmes respiratoires – les murs sont épais comme du carton – est lui resté à l’étage, comme beaucoup d’autres d’ailleurs. Que se serait-il passé, pour ces 300 hommes et femmes aux hanches usées, si l’incendie était plus grand ?

Je regarde cette ville immense et surpeuplée (la densité de population est de 5463 habitants par km², ce qui reste moins que Bruxelles…) qui vit et palpite, avec ses émerveillements et ses inquiétudes…   Elle me raconte un peu d’elle, de ses beautés et de ses failles… Miroir de l’humain, miroir du monde.

Avant de partir, il me reste quelques beaux projets : cette rencontre avec les étudiants de l’Université de Montréal, quelques séances photo avec des Montréalais tout nus, ou encore, ce jeudi 5 mai, la rencontre autour de mes textes érotiques à l’UNEQ, où nous parlerons, Maya Ombasic et moi, de désir, de féminité, de relations humaines, et d’émerveillement, le tout entrecoupé de lectures de nouvelles et de création collective. Un beau moment, où j’espère dire et entendre la beauté des ventres désirant, à qui voudra l’entendre. Vous êtes à Montréal ?  Soyez les bienvenus.

Quelques liens du jours

Le programme du 5 mai, si tu veux te rincer les oreilles avec du sexe joli : c’est ici !

Encore un peu de Ragnar Krastjansson…Je retournerai voir cette exposition bouleversante au MAC le vendredi 13 mai en début d’après-midi. Tu viens avec moi ?

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