Je ne m’attendais pas à cela.
Bien sûr, je n’ai plus voyagé longuement depuis une vingtaine d’années, j’élevais mes petits, courir le monde n’était pas ma priorité. Peut-être qu’à rester trop longtemps au même endroit, je n’en vois plus les défauts, les failles et la laideur, peut-être que je m’en suis accommodée. Ma Belgique natale autorise le mariage gay depuis un bail, on n’en a pas fait un combat, je ne me sens pas attaquée dans ma vie de famille parce que d’autres familles, différentes de la mienne, existent. Comme j’ai toujours dit à mes enfants, il en faut pour tous les goûts, des humains comme des idées.
Je ne me sens pas menacée dans ma condition de vie parce que d’autres vivent autrement. Je suis quasi-sûre que ma boîte ne fait pas de discrimination de genre au niveau salarial, puisque celui-ci est fixé par barème, une fois pour toute, sans aucune chance d’augmentation selon le mérite ou l’investissement. C’est presque injuste, mais c’est un autre débat. Bien sûr, il y a encore des règles à changer, des usages à faire évoluer, des terrains de pensée ou d’activité, ou de vie, ou de sport, à mieux partager. Mais je ne me sens pas “en lutte”. Je ne me sens pas “guerrière”, revendicatrice ou protestataire. Je n’ai aucun doute : je suis une femme. Je vis dans un monde composé de femmes, d’hommes, et de milles sensibilités et identités qui ne sont ni l’un, ni l’autre, bien au contraire.
Certains, certaines, m’ont dit “Ton discours est une révolution, tes mots changent la donne”. Je n’en sais rien. Je donne les mots, je ne sais pas comment ils sont reçus. Je n’ai pas l’intention de changer le monde, à peine d’y mettre une touche de beau, dans le parfois trop pauvre paysage érotique. J’ai écrit en plaçant au coeur de mon propos ce que je connais le mieux, moi, corps vivant. Autofiction ? Subjectivité absolue ? Généralité de l’être ? Je n’en sais fichtre rien. Il me paraissait intéressant, à un moment donné, dans un monde où l’érotisme est essentiellement construit au rythme du plus pauvre désir masculin – stimulus bandaison va-et-vient jouissance mouchoir – d’y apporter un autre regard. Je ne revendique rien. Je vénère Erika Lust, c’est connu, et sa présentation TEDx qui explique en toute simplicité pourquoi il est heureux, fondamental, porteur, pour le plaisir de tous, que le porn se décline aussi au féminin. Je n’en fais pas un combat : je serais bien en peine d’écrire le désir du point de vue de l’homme ! Je m’y suis risquée parfois, lors d’exercices échangistes de plume . Mais cela m’était difficile. Je ne connais pas la sensation du sexe qui se dresse. Soyons réaliste, c’est une raison suffisante, pour moi en tout cas, de ne pas la décrire. Je pourrais l’inventer, l’étudier, me documenter, toussa… Mais non.
Cette longue introduction – je parle du texte, foutredieu- pour vous dire ma perplexité, mon étonnement, mon chagrin aussi, ici, à Montréal.
Dans le cadre du projet Peaux d’hommes, par sympathie, par affinités éditoriales, par hasard de l’agenda, j’ai d’abord rencontré des hommes. Quelques-uns, pas tous. Et plutôt ouverts au dialogue, à la question du désir, à la fragilité de l’écriture, … Forcément, les premiers contacts ont été noués sur mes terrains de jeu favoris, les blogues ou Twitter. Très vite, j’ai senti un malaise, une réserve, une difficulté présente chez tous, dans la relation aux femmes. Je situe. Je parle de personnes entre 35 et 50 ans. Ce que je classe, par facilité, par habitude, par réflexe, dans la seconde génération des féministes. Ceux dont les mères, comme la mienne, ont révolutionné l’équilibre du monde, celles qui ont voté librement toute leur vie ou presque (le droit de vote des femmes a été instauré en deux temps en Belgique : communales en 1920 et, autres niveaux de pouvoir en 1948). La révolution sexuelle est venue plus tard, pour atteindre son paroxysme à la fin des années 60.
Note de l’auteure : Je simplifie très fort, mais c’est un article de blog à brûle pourpoint, – enfin, ça macère depuis quinze jours- et pas une revue scientifique de sociologie ou anthropologie appliquée. Je m’interroge, je suppose, je cherche à comprendre. Tout élément qui vous paraîtrait pertinent de porter à ma connaissance pour m’éclairer, me détromper ou réfléchir avec moi est le bienvenu.
Bref, les hommes que je rencontre sont a priori : sensibles, réfléchis, ouverts sur le monde. Alors j’interroge, je questionne. Comment parle-t-on à une femme ? Comment se séduit-on ? Comment parle-t-on du désir, de cette envie de peau, de chair, de plaisir, d’émotions ? Comment vit-on la relation, le couple ? Quelles sont les formes “socialement admises” de sexualités, est-ce que la fessée a droit de cité ? Là où il me semble qu’ici les sensibilités LGBT sont bien plus prises en compte dans la société, qu’en est-il du couple, du désir et du sexe aujourd’hui au Québec ? Et je découvre qu’ils sont… Terrorisés. Perdus. Paumés. Comme s’ils ne maîtrisaient plus le code.
Je suis consciente de ne pas maîtriser les codes sociaux ici : même si la langue est originellement la même, les comportements sont assez différents. Au premier coup d’oeil, il me semble que les gens me regardent bizarrement. Peut-être mon regard est-il trop franc, ou mon bonnet trop rouge ? Je questionne, les quelques personnes qui m’accueillent et avec qui j’ai le temps de parler. Je croyais arriver, de mes quelques recherches sur l’érotisme au Canada, dans un pays plus libre, au moins sur le plan artistique, que ne l’est ma Belgique natale, qui a oublié qu’elle a engendré des Félicien Rops. Et cette perte de repère des hommes que je croise m’interpelle, me chiffonne. La question de l’égalité des sexes est une des premières qui vient sur le tapis. C’est étonnant, et d’où ma longuette introduction : ce n’est pas une question qui monopolise beaucoup mon attention.Bien sûr j’ai rencontré des cons, qui me trouvaient plus à ma place quand j’allaitais mes petits que quand je défendais des pétitions citoyennes. Mais ceux-là mourront avant moi. J’ai élevé mes enfants en ouvrant toutes les portes, à eux de choisir celles qu’ils empruntent, libres et responsables. Mais je ne me réveille pas le matin en pensant que ce monde est sexiste et qu’il y a une guerre à mener. Or, c’est une impression forte ici : il y a une guerre à mener.
Il se trouve qu’au début de mon séjour est décédée Claire Kirkland Casgrain, et que l’excellente radio “Ici Radio-Canada Première” m’a permis de découvrir cette femme aux propos très posés, pour qui cette évidence de l’égalité humaine semblait également un postulat non amovible. Un humain égale un humain, qu’il soit homme ou femme. Et son chemin a été long, et son oeuvre importante. Mais les rares extraits que j’ai entendus étaient d’une sagesse magnifique, loin d’une posture agressive. Juste juste.
Alors, étonnée de ces propos des hommes, et des femmes qui les accompagnaient, et des descriptions que j’entendais de ces féministes hargneuses et revenchardes, caricaturales chiennes de garde sans amour ni désir, le cri de guerre plus que de plaisir, j’ai fait ce que je fais toujours dans ces cas-là. Je suis allée écouter les féministes parler. C’était hier soir, à la Maison des Ecrivains, superbe demeure s’il en est. Elles étaient cinq. Et forcément, cinq femmes brillantes, auteures, journalistes, libraires, penseuses. Cinq femmes aux sensibilités différentes, aux propos plus ou moins mesurés. Aucune n’était ce monstrueux laideron aux jambes poilues et au verbe acide que j’avais presque imaginé. Et elles parlaient, devisaient, pensaient, passant le monde au peigne fin d’une lecture “féministe”.
Figure-toi qu’une nuit plus tard, je ne suis toujours pas sûre d’avoir compris la définition de ce mot, féministe. En tous cas, je ne suis pas sûre qu’il recouvre les mêmes questions, ici et chez moi. Et je ne sais toujours pas ce qu’est un livre féministe. Et ça tombe plutôt bien : en général, je me fiche bien de savoir si un livre est féministe, masculiniste, dolphiniste ou chatoniste. Je me fous royalement de savoir si le nombre de livres proposés chez le libraire et relevant de la production artistique contemporaine est strictement égalitaire.
Ce que je demande à un livre, c’est de me transporter, de m’ouvrir un monde que je ne connaissais pas, de faire travailler ma cervelle, et me faire voyager, ou rire, ou pleurer, ou réfléchir, ou m’émerveiller. L’histoire m’importe plus que l’auteur. Et oui.
Cela dit, ces débats sur le féminisme littéraire ne sont pas vains, entendez-moi bien. Dans un monde idéal, ils ne devraient plus exister pour la bonne et simple raison que nos cultures, nos infrastructures, notre éducation seraient une réelle ouverture au monde dans toute sa diversité, un générateur des possibles, peu importe le genre, peu importe le sexe. Je défendrai toujours la nécessité du choix. Ma fille veut être policière ou pompier, elle ne sait pas encore, elle aimera les hommes ou les femmes, elle ne sait pas encore. J’exige du monde qu’il lui laisse le choix. Tu coinces sur pompier ? Moi aussi. Pompière, c’est laid, non ?
En Belgique, une loi impose la parité sur les listes électorales : autant d’hommes que de femmes, dans une stricte alternance. Et c’est important, bien sûr, que les femmes s’engagent en politique, qu’elles gèrent aussi le macro-monde. Mais j’ai la même exigence pour l’homme que pour la femme : la compétence. Etre femme ne suffit pas. Et par pitié, surtout pas en tentant d’imiter les hommes. Vivons comme nous sommes, chacune à sa façon, que le genre ne soit pas la limite de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons, pas plus que l’ethnie ou le passé. Etre femme ne suffit pas à définir l’auteure, et surtout, être homme ne suffit pas pour être misogyne.
Hier, à cette intéressante conférence, il n’y avait pas d’homme. Enfin si. Il y en avait 4, dont un était le technicien et un autre accompagnait une intervenante.
Ces femmes qui tentaient de définir leur différences, ces femmes parlaient des hommes -en leur absence-, comme d’un seul corps unique et homogène, face à elles, unes et homogènes également. Pardon mais… Nous sommes tous différents. Basique ? Oui. Essentiel. Mais surtout… Quand parlons-nous aux hommes ? Quand entendent-ils cette parole qui raconte nos pensées, nos attentes, nos espoirs, nos rêves ? Si lors de ces soirées féministes,seules les femmes sont présentes… Quelle perte d’énergie, non ? Quelle inefficacité, qui ne vise que la moitié des gens. Et si chaque femme venait aux soirées féministes avec un homme ? Comme j’ai fait l’effort, autre fois, d’essayer de comprendre le foot (le soccer, comme vous dites), et finalement d’aller au hockey, activités étiquetées « hommes » s’il en est, si j’emmenais mon homme à une soirée féministe de cette intelligence, ? Les femmes lisent les livres des féministes. Et si nous apprenions à nos fils cette histoire récente, si récente qu’elles n’est pas encore dans les livres d’école ? Si nous leur donnions les clés pour comprendre et changer le cycle répétitif ? Pas en déposant le trousseau sur la table et en espérant qu’ils prennent. Non. Prenons nos responsabilités, donnons-leur les clés nous-mêmes . Exprimons nos rêves, nos désirs, nos envies, nos injustices. Chaque homme, chaque femme, peut entendre l’histoire de ses proches. Il, elle, sera bien plus touché par l’histoire de sa mère de sa compagne, de sa fille, que par l’histoire des femmes. Chacun joue un rôle fondamental dans l’évolution des rapports aux autres, des codes de notre société, de notre histoire. Bien sûr, on apprend, et on se trompe, on écrit l’Histoire un peu chaque jour. Ma mère était féministe, je le suis. Et mon fils le sera.
Et si cette énergie de combat, de lutte, l’un contre l’autre, on l’investissait dans une énergie de construction, de réconciliation ? N’est-il pas temps ?
Quand vient la nuit, le soir, l’intime du lit, dans cette société où ce combat pour l’égalité est si fort et si présent, comment faire de nos cris de guerre des cris d’amour ? Comment se trouver désirant et amant, quand les habits de guerre sont posés au pied du lit, sans renier les convictions ?
Ce soir, il y a une table ronde, encore. L’érotisme dans la littérature féminine. Trois intervenantes, dont une qui était présente hier. J’ai hâte, oui, je suis impatience d’entendre comme le cri de guerre pourra se faire cri de désir, et, j’espère, cri de plaisir, aux caresses teintée d’envie.
Quelques-unes des références données ci-dessus :
La présentation TEDx d’Erika Lust, pornographe féministe
Le podcast de l’émission de Radio Canada
La rencontre du 12 avril sur les féministes à l’assaut de la littérature
Celle du 13 avril, sur l’érotisme dans la littérature féminine
PS : Pour ceux qui ont lu l’épisode 7, soyez rassurés. Ma bourse a bel et bien été versée. Il suffisait donc de se fâcher gentiment. Pourvu que le SPF Finances fasse de même rapidement, pas vrai ?
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